[G7 Summit --
Versailles, June 4-6, 1982]


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Puiser dans l'immense réservoir de l'intelligence humaine

Face à ces bouleversements, l'attentisme ou l'égoïsme accentueraient les perturbations, les nuisances, les violences, les déséquilibres, les conflits. Tout doit être fait chez chacun d'entre nous et par une grande coopération économique pour que le progrès constitue un moyen de paix et de prospérité, pour éviter qu'il ne produise d'abord comme par le passé chômage et récession. Je vous propose cinq thèmes de réflexion et d'action.

1. Créer le plein emploi en maîtrisant le contenu du travail.

Le progrès technologique ne peut pas se diffuser dans un contexte de chômage, qui crée un environnement pessimiste, qui suscite des comportements de repli, qui détruit la confiance. C'est pourquoi la lutte contre ce fléau, par nos politiques économiques concertées, est une priorité.

Certains craignent que le progrès n'aggrave le chômage qui nous frappe. Ayant réfléchi à cela, je peux vous dire mon optimisme à moyen terme.

Le progrès n'est un danger que pour ceux qui ne savent pas maîtriser la transition qu'il impose entre des activités en déclin et des activités nouvelles. Pour les autres il est une chance.

Il est vrai que son effet sur l'emploi en termes quantitatifs est difficile à appréhender: la révolution technologique est à la fois créatrice d'emplois, par le développement de nouveaux secteurs, et destructrice d'emplois, par l'automatisation de certaines activités.

Dès 1990, 20% de la production de masse seront réalisés par des machines d'assemblage automatique, réduisant le nombre d'emplois et particulièrement les plus pénibles dans l'industrie. Les activités tertiaires telles que les banques et les assurances seront aussi touchées. Au total, une suppression de plusieurs millions de postes de travail pourrait en résulter d'ici à 1990, dans les seuls pays industrialisés.

Nous devons donc nous donner les moyens de gérer cette mutation afin que les technologies ne suppriment pas plus vite les emplois qu'elles n'en créeront. Nous devons raccourcir les délais de cette inévitable transition.

Si l'on s'y prépare, les nouvelles technologies susciteront la création d'emplois autant sinon plus qu'elles n'en supprimeront, non seulement par la production de nouveaux biens industriels, mais également par les services associés (distribution, ingenierie, conseil, formation, activités de loisir...) à condition de savoir les organiser, et par les effets d'entraînement qui auront lieu dans des secteurs tels que la métallurgie, la sidérurgie, la mécanique, la chimie...

Le problème qui nous est donc posé est celui d'une substitution ordonnée et rapide de nouveaux emplois aux anciens. Je ferai plus loin à ce sujet des suggestions.

Cette substitution ne pourra être seulement quantitative. Elle s'accompagnera d'une profonde évolution du contenu du travail et de son organisation. Elle donnera à la diminution du temps de travail une autre signification. Nécessité économique, sociale et culturelle, elle deviendra un des instruments de la politique économique en contrepoint des gains de productivité.

On sait que les risques de déqualification, d'uniformisation des tâches, d'isolement, inquiètent à juste titre les travailleurs. Faute de savoir comment nos sociétés s'adapteront aux mutations technologiques, nous risquons de maintenir nos nations dans un état de refus frileux du progrès ainsi qu'en témoigne le ralentissement de nos investissements.

C'est pourquoi nous devons ensemble investir dans tout ce qui touche à l'environnement du travail et à l'adaptation des connaissances pour que le progrès social accompagne le progrès technique.

Dans cette perspective, trois lignes d'action, me semblet-il, s'imposent à chacun de nous:

le soutien de la demande afin de favoriser le développement des marchés pour les nouveaux biens et services de consommation incorporant les progrès technologiques;

la stabilisation des taux d'intérêt et des taux de change. Je n'y insisterai pas ici car ce sera l'objet essentiel du reste de nos discussions;

un effort accru de formation et de mobilité professionnelles. L'organisation et le contenu du travail seront déterminés, je l'ai dit, par la diffusion des techniques nouvelles. L'exercice de plusieurs métiers au cours d'une vie de travail sera une des caractéristiques majeures de nos sociétés dans les années à venir.

Or à ce sujet tout reste à faire. Dans les pays les plus développés, la progression du nombre d'ingénieurs et de techniciens formés a été considérablement réduite. En 1980 les dépenses publiques et privées de formation professionnelle ne représentaient même pas 1% de notre PNB [produit national brut] commun. Ce qui paraissait suffisant dans un contexte d'expansion soutenue et de stabilité de l'organisation du travail devient impropre à l'organisation de la mobilité et à la diffusion des connaissances.

Un tel effort est une condition nécessaire pour que le progrès soit assumé et rendu acceptable pour toutes les forces du travail.

Sans cet immense effort de formation, dont doivent bénéficier les salariés de tous les secteurs, de tous les âges, hommes et femmes, du haut en bas de l'échelle des qualifications, seul un petit nombre de privilégiés sera à même de comprendre et d'agir sur le monde, aux dépens d'un gaspillage dramatique de la capacité créatrice des autres.

Il nous appartient dès lors de lancer une politique active de formation et d'adaptation de nos savoirfaire.

Le contenu du travail sera modifié en qualité et en quantité dans le sens de l'amélioration de la condition des travailleurs, si nous en prenons les moyens, notamment en assurant et en développant la concertation avec les intéressés et leurs organisations.

Ce mouvement n'est possible que si l'éducation, la culture et l'environnement accompagnent le progrès scientifique et économique, en lui donnant une âme, un projet, un sens.

2. Favoriser le dynamisme industriel.

Les bases de départ existent. Il devient possible de surmonter la récession, de rompre le mouvement de baisse des gains de productivité, et d'ouvrir de nouveaux marchés.

En 1990 les activités situées au coeur de la révolution technologique (circuits intégrés, bureautique, robotique, nouvelles applications télématiques, nouveaux biens grand public, espace, génie biologique, offshore, énergie, nouveaux matériaux) auront triplé leur place relative dans la production de nos pays.

A cette même date les industries à haut contenu technologique (télécommunications, aéronautiqueespace, produits médicaux et pharmaceutiques, énergie, chimie, transport) représenteront près d'un tiers de la production industrielle des Sept; elles constitueront un facteur de croissance auquel s'ajoutera l'ensemble des activités servant au fonctionnement ou à l'utilisation des biens et services produits par ces secteurs (formation, recherche et développement, distribution, programme, etc.).

L'automatisation rapide de la production industrielle devrait provoquer des gains de productivité de plus de 10% par an, condition indispensable au succès des politiques antiinflationnistes.

Pour cela, les conditions d'un nouveau dynamisme industriel doivent être réunies: un effort d'investissement et une concurrence garantie.

(a) Relancer l'effort d'investissement industriel.

Les politiques dites d'austérité freinent le progrès technologique en décourageant les investissements à long terme créateurs d'une nouvelle demande, alors qu'il nous faut répondre à la révolution technologique en encourageant les investissements industriels privés et publics.

C'est une mobilisation sans précédent du capital vers l'industrie et la recherche que nous devrons réaliser. Cet effort d'investissement correspondra à un prélèvement supplémentaire annuel très important sur les ressources disponibles du marché international des capitaux. Nos marchés monétaires et financiers auront à y répondre. Aussi fautil que les taux d'intérêt internationaux soient raisonnables afin de rendre possible ces investissements et que nos taux de change soient stabilisés, grâce à une coopération entre les principales monnaies permettant de reconstruire un système monétaire international ordonné. Cette question occupera assurément nos discussions et nous en reparlerons cet aprèsmidi.

Les investissements et marchés publics (communications, transport, énergie...) par leur ampleur et parce qu'ils peuvent s'appuyer sur un projet global, ont un rôle moteur à jouer. Nous échangerons nos points de vue et pourrons amorcer une coopération sur ce thème.

(b) Garantir la concurrence.

La concurrence est un facteur essentiel de la croissance et du progrès technique. Or elle posera des problèmes très différents de ceux que nous connaissons aujourd'hui.

Dans le domaine des biotechnologies, par exemple, plus d'un tiers des produits étant fabriqué par des firmes en situation de monopole mondial, le déséquilibre va s'accentuer. De même, dans le domaine de l'électronique avancée, huit firmes contrôlent déjà 70% du marché des circuits intégrés. Cette concentration s'accentuera.

L'innovation technologique reste pourtant pour l'essentiel le fait de petites et moyennes entreprises privées et c'est heureux. Mais elle s'intègre dans un système de production de plus en plus complexe et, les conditions traditionnelles de la concurrence modifiées, les courants d'échanges deviennent source de plus grande tension, les rapports de force entre firmes, entre régions du monde, entre marchés s'exacerbent. Il nous faut y réfléchir. Je proposerai plus loin des voies d'action.

3. Lutter contre les déséquilibres NordSud.

Enfin, il faut mettre les découvertes technologiques récentes au service des pays du Sud. Elles aideront concrètement, comme je l'ai déjà dit à propos des biotechnologies, à réduire leur dépendance énergétique et alimentaire.

Certes on ne peut se dissimuler qu'elles susciteront aussi, pour eux, des menaces nouvelles: instabilités et dépendances.

Par exemple, les biotechnologies développeront des substitus aux matières premières et aux énergies traditionnelles risquant d'aggraver l'état des pays pauvres producteurs de matières premières. La création de nouveaux matériaux, plus tard l'exploitation de nodules polymétalliques (cobalt, nickel, manganèse, cuivre), l'absence d'une répartition équitable des fonds marins menaceront les pays qui dépendent fortement des exportations de minerais. Nous devons donc accélérer les transferts de technologies vers le Sud, tout en développant l'organisation des marchés mondiaux.

On réfléchira non seulement aux moyens de transférer vers eux nos technologies en les adaptant, mais aussi de rassembler les conditions qui permettront la naissance de technologies directement centrées sur leurs réalités propres: c'est à cette condition que le développement autonome de leur agriculture, de leur industrie, de leurs services est possible.

Enfin, s'il est de l'intérêt des pays industrialisés que l'immense marché des pays du Sud s'ouvre à la révolution technologique, il faut que la science et la technique apportent à ces pays les conditions de la survie et de la dignité en protégeant et en mobilisant leurs ressources naturelles et leur environnement: augmenter les productions nationales d'énergie, arrêter l'extension des zones incultivables, arrêter la disparition d'espèces végétales et animales et la dégradation des sols, lutter contre les causes et les effets dramatiques d'une concentration urbaine, qui s'accroît à un rythme sans précédent.

Pour cela les moyens dont disposent les institutions multilatérales d'aide à la recherche technologique devront être orientés vers les besoins du Sud.

Je proposerai des voies d'action permettant aux pays du Sud de maîtriser de nouvelles technologies.

Bref, il est possible de se servir de la recherche scientifique et technique pour la mise en valeur globale du patrimoine commun au pays du Nord et du Sud.

4. Vaincre les tentations de repli sur soi.

Alors que le commerce mondial s'est ralenti, les produits incluant de la haute technologie occupent une part croissante de son volume. Il nous faut surmonter cette contradiction.

Le progrès technique créera de nouvelles occasions d'échange. Mais le protectionnisme trouve, dans la nature même des produits hautement technologiques, des moyens nouveaux de s'exprimer (normes, procédures d'agrément...). Le développement technologique dans son ensemble peut provoquer à court terme des réactions de repli, des désirs d'isolement, contraires, à moyen terme, aux intérêts de tous les pays. Il convient de coopérer pour que le protectionnisme ne finisse pas par l'emporter.

5. Construire une nouvelle civilisation.

Une nouvelle civilisation commence là ou la multiplication des moyens aide à libérer les hommes de la double contrainte de la distance et du temps, à échanger, communiquer. L'interrelation des réseaux conduit les sociétés les plus diverses à entrer en communication, à mieux se connaître, à mieux se comprendre.

L'impact des nouvelles technologies sur la civilisation de la ville est encore mal connu: on veillera à ce que le développement des moyens de transport, la prolifération et l'interdépendance des systèmes d'information, la mise en place des réseaux câbles, les nouvelles techniques de l'habitat, rendent les villes plus accueillantes pour tous et rompent l'isolement des campagnes.

L'enjeu est là, immense, car en l'absence d'un puissant mouvement d'échanges un risque d'uniformisation pèsera sur toutes les cultures et toutes les langues.

La communication se concentre en effet dans tous les pays. Quelques firmes s'approprient l'ensemble des réseaux nécessaires à la diffusion électronique. En les maîtrisant elles influencent en retour les média traditionnels: le cinéma, la presse ou la télévision. L'essentiel des nouvelles activités dans lesquelles s'engagent la plupart des firmes (production, stockage, traitement de l'information) suppose de très lourds investissements qui conduisent à une forte concentration.

Déjà, les deux premières banques d'images alimentent la quasitotalité des stations de télévision dans le monde, plus de troisquarts des informations de presse émanent de cinq agences. Généralisée, cette tendance naturelle conduira, dès la fin de la décennie, au contrôle de l'industrie mondiale de la communication par une vingtaine de firmes.

En coopérant, nous éviterons que l'information ne soit accumulée et traitée par un petit nombre de firmes et de nations disposant des systèmes de traitement et de stockage les plus rapidement mis au point.

Plus généralement, la diffusion d'informations élaborées et contrôlées par quelques pays dominant pourrait faire perdre leur mémoire ou leur souveraineté aux autres, remettant ainsi en cause les libertés de penser et de décider.


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Revised: February 09, 2007.

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